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Arber Ahmetaj: “Les corbeaux sont incapables de construire un nid pour eux-mêmes, comment auraient-ils pu fabriquer un cercueil?”

Dans notre ville, les gens ne parlent que de la fuite des tombes, mais personne ne saurait dire à quel endroit elles se sont arrêtées, établies.

Ou bien elles courent toujours, ces bosses de terrains errants. Une chose est sûre, pourtant, la tombe vide de Konstandin est aussitôt devenue objet de convoitises. Konstandin lui-même avait fait savoir, après avoir obtenu le statut de réfugié politique, qu’il n’avait plus besoin de sa tombe. Au début, on a dit qu’un petit cercueil avait été vu au milieu de la rue, près de l’emplacement des tombes, une fois tendu de rouge, une autre fois tendu de noir. Quelqu’un a dit que ce pouvait être le cercueil de notre drapeau, en faisant une allusion cynique aux couleurs du drapeau de notre ville. On a dit que le petit cercueil avait été fabriqué par les corbeaux qui tournaient au-dessus de notre ville, ce que nombre de gens avaient du mal à croire. Les corbeaux sont incapables de construire un nid pour eux-mêmes, comment auraient-ils pu fabriquer un cercueil? On a vite appris la vérité le jour où la police a arrêté une bande de voleurs, qui se servaient du cercueil en question pour ralentir la circulation automobile. Dès que les chauffeurs, secoués par la vue du petit cercueil, arrêtaient leurs véhicules, ces voleurs les neutralisaient facilement avant de faire main basse sur les aides alimentaires, venues de très loin, que leurs victimes transportaient.

Le poète B.M. avait dit un jour que les tombes fuyaient déjà, car elles ne pouvaient plus supporter la compagnie des vivants tout autour. Cette assertion avait semé la confusion dans les esprits. On se demandait dans la ville de quels vivants il s’agissait. Le plus célèbre des poètes avait mis un terme au débat en déclarant : « De lui-même, pour sûr ! Les tombes non plus ne supportent pas le voisinage de B.M. ! »

Juste a ce moment-là, trois morts tout à fait différents sont venus l’un après l’autre s’installer dans notre ville. Chacun d’eux avait une histoire à lui. A croire que notre ville avait encore besoin d’autres morts à part les siens. A croire aussi que dans notre ville personne ne mourrait plus et que, pour peupler la seule tombe vide qui lui rester, il fallait donc importer des morts d’autres villes.

* Extrait de “La ville des écrivains figés” le beau premier roman de l’écrivain sédunois Arber Ahmetaj, Mon Petit Editeur, 2011. Traduction de l’albanais par Edmond Tupja.

Autori
Arbër Ahmetaj
Kryeredaktor   | [email protected] | Website

Arbër Ahmetaj lindi në Tropojë në vitin 1965. Është diplomuar për farmaci në universitetin e Tiranës dhe atë të Gjenevës. Në vitin 1986 filloi bashkëpunimin me shtypin shqiptar të asaj kohe dhe më pas punoi si gazetar në departamentin e informacionit në TVSH. Në vitin 1993 iu bashkua Ministrisë së Punëve të Jashtme dhe u specializua për diplomaci në Oksford, Uashington, Gjenevë dhe Maltë. Pas detyrave të ndryshme në këtë ministri u emërua Sekretar i Parë në Ambasadën Shqiptare në Bukuresht. Nga shtatori i vitit 1997 jeton në Sion të Zvicrës, ku ushtron punën si farmacist. Disa nga veprat e tij në prozë janë "Fletëhyrje për në varr", "Varri i braktisur", "I huaji, ai kosovari", "Një natë te Luiza", "69 gra", "Procesi 3K", si dhe librat me poezi "Më mori malli e dashur" dhe "Poezi". Nga viti 2020 është Kryeredaktor i Revistës Letrare.